Une politique du logement peut-elle se limiter à l’hébergement ?

Dans un contexte de tensions - notamment budgétaires -, la tentation est forte pour l’État de concentrer son intervention sur les plus démunis. Pour autant, la politique du logement peut-elle se désintéresser des autres populations ?

Nous avons posé la question à différentes personnalités.

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Jean-Claude Driant

Professeur à l’École d’urbanisme de Paris et spécialiste du logement

Se concentrer sur l'hébergement des plus démunis serait une erreur

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Limiter la politique du logement à l’hébergement des plus démunis ? Certainement pas, pour au moins trois raisons.

D’abord si on concentre le propos sur les ménages les plus démunis, cela serait insuffisant. Les chiffres du mal logement, qu’ils émanent de la Fondation Abbé Pierre (FAP), l’Insee ou de l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) montrent tous que dans la majorité des cas, être mal logé, c’est être logé, mais mal. Résoudre ces situations ne peut se contenter d’agir sur des modalités d’hébergement principalement destinées à celles et ceux qui sont privés de logement. Résoudre le mal logement, c’est favoriser la mobilité résidentielle (pour sortir du surpeuplement), rénover le parc ancien (précarité énergétique), faciliter la décohabitation des jeunes (hébergement chez un tiers), etc. Et donc agir d’une façon ou d’une autre sur tous les segments du secteur.

Ensuite parce que les personnes mal-logées ne sont pas les seules à avoir un problème de logement : poids excessif sur le budget, éloignement du travail, file d’attente des HLM, dévalorisation du patrimoine des propriétaires, inadaptation des logements au grand âge, etc. Ces situations ne sont heureusement pas majoritaires, mais elles concernent beaucoup plus de ménages que les fameux quatre millions de mal-logés comptabilisés par la FAP. Le marché ne semble pas en mesure de régler seul toutes ces difficultés, il justifie un ensemble d’interventions favorisant à la fois de l’action sur le parc existant et la production de logements de qualité et financièrement abordables (qu’ils soient sociaux au sens strict, ou non).

Enfin, parce que ce que l’on considère généralement comme le champ de la politique du logement (et son coût élevé de 40 milliards d’euros par an) renvoie à une grande diversité d’objectifs qui dépassent de loin la simple satisfaction des besoins des ménages, qu’ils soient démunis ou non. Peut-on se permettre de renoncer à favoriser l’emploi dans le bâtiment, de lutter contre le travail non déclaré des artisans, d’inciter à la production d’une ville plus compacte, de transformer les quartiers défavorisés, de limiter les émissions de gaz à effet de serre, de freiner les mécanismes ségrégatifs ? Dans tous les cas, ce sont des composantes des politiques du logement (le pluriel s’impose) bien éloignées de l’hébergement et de la situation des personnes les plus démunies.

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