3 questions à Pascal Beauvais, Caroline Joly et Antoine Maisonneuve, auteurs de «Repenser la responsabilité pénale dans l’entreprise»

13 mai 2024

Le 28 mai, Pascal Beauvais, Caroline Joly et Antoine Maisonneuve présenteront leur dernier ouvrage "Repenser la responsabilité pénale en entreprise" à la Maison des Avocats.
Nous les avons rencontrés en amont de cet événement pour qu'ils nous livrent leurs conclusions et qu'ils nous racontent la suite du projet.

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Racontez-nous la genèse de cet ouvrage

Caroline Joly : Le risque pénal est une préoccupation croissante des acteurs économiques car il s’alourdit considérablement et devient difficilement maîtrisable. C’est cette incertitude que voulait traiter l’Institut pour l’innovation économique et sociale. De notre côté, Pascal, Antoine et moi-même nous connaissons depuis plusieurs années. Nous avions fait le constat que nous nous heurtons très régulièrement, dans notre pratique, à une difficulté procédurale quant à l’articulation des responsabilités pénales dans l’entreprise.

En deux mots, en cas d’infraction pénale, les textes ne précisent pas qui de la personne morale ou du dirigeant ou les deux cumulativement seront poursuivis. Ce « bug technique » emporte des conséquences pratiques considérables pour le justiciable. Il embarrasse également autant les magistrats du parquet que les avocats.

Nous avons ainsi – une fois n’est pas coutume dans une matière sensible – mis le doigt sur un sujet de préoccupation partagé avec tous les acteurs d’un procès pénal.

Nous nous sommes donc attelés à l’analyse scientifique de cette difficulté. La première étape fut d’étayer notre intuition et de regarder avec l’aide de nos confrères étrangers la façon dont cette question était traitée dans d’autres pays.

Nous avons publié coup sur coup en mai et juin 2022 deux études :

  1. Une cartographie menée à partir de données collectées dans 21 pays, et qui révèle des différences majeures de régimes de responsabilité pénale d’un pays à l’autre
  2. Un sondage auprès de 300+ dirigeants d’entreprise pour évaluer la perception du risque pénal par les dirigeants d’entreprise et la qualité de l’information dont ils disposent sur le sujet.

 

Pascal Beauvais : En juin 2022, nous avons présenté ces deux études à l’occasion d’un séminaire à la faculté Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Nous avons partagé nos conclusions puis débattu avec des universitaires, des avocats et des magistrats. Nos travaux ont eu un retentissement significatif et nous avons reçu le soutien enthousiaste de nombreux praticiens du droit. Une fois mise à nu, cette difficulté est apparue d’une ampleur supérieure à celle que nous soupçonnions.

Restait à dépasser ce constat pour apporter des solutions concrètes au problème que nous avions identifié. Caroline, Antoine et moi nous sommes lancés dans l’écriture de cette étude intitulée « Responsabilité pénale des personnes morales et des dirigeants : comment repenser leur articulation pour plus de sécurité juridique ? ». L’objet de notre réflexion n’est pas de réduire la responsabilité des uns ou des autres, mais de rendre la loi équitable et lisible, ce qui est, rappelons-le, un impératif constitutionnel.

 

Vous proposez deux pistes principales pour clarifier l’articulation des responsabilités pénales dans l’entreprise. Pouvez-vous nous les présenter ?

Antoine Maisonneuve : Dans cette étude, nous formulons deux propositions concrètes… et opposées. Caroline Joly et moi-même défendons l’idée que la responsabilité des personnes physiques est subsidiaire de celle de l’entreprise.

Pourquoi cette « hiérarchie » nous semble-t-elle légitime ? D’une part, parce que nous constatons qu’aujourd’hui la délinquance économique découle souvent de dysfonctionnements collectifs qui doivent dès lors d’abord être reprochés au groupement dans son ensemble. D’autre part, il s’agit de mettre un terme à la pratique jurisprudentielle actuelle qui impute d’une manière trop mécanique, à partir de présomptions, ces dysfonctionnements aux dirigeants.

 

Pascal Beauvais : À l’inverse de mes collègues avocats, ma proposition est de privilégier le renvoi de la personne physique, si elle a été identifiée, avant celui de la personne morale.
Je considère que la responsabilité qui pèse sur les dirigeants en cas de faute est la contrepartie des pouvoirs de direction et d’organisation qui leur sont attribués. De mon point de vue, c’est une condition pour que le droit pénal joue sa fonction dissuasive. Si le dirigeant a commis personnellement l’infraction en tous ses éléments, aussi bien l’élément matériel que l’élément moral, ou bien a contribué de manière déterminante à sa réalisation, sa responsabilité pénale devrait primer celle de la personne morale.

 

L’ouvrage a été publié à l’automne 2023. Quelles sont les prochaines étapes ?

Pascal Beauvais : Cet ouvrage décrypte la difficulté technique et ses enjeux. Il permet d’amorcer un débat dans lequel nous versons deux propositions. Ces deux propositions doivent être approfondies, affinées, débattues, voire dépassées. C’est un travail que nous souhaitons mener de manière collective.

 

Antoine Maisonneuve : L’objectif est bien de faire évoluer le droit pénal des affaires. Mais tant la façon d’y parvenir que la profondeur des modifications est à débattre. Faudra-t-il réécrire une circulaire ? Aller plus loin et modifier le droit pénal, notamment la responsabilité des personnes morales pour tenir compte de l’évolution de la délinquance économique ?

En tout cas, et pour celles et ceux qui nous lisent, c’est le moment de se saisir de nos propositions, de les discuter, de les améliorer.

 

Caroline Joly : Le 28 mai, nous réunissons des avocats, des juristes d’entreprise, des universitaires et des magistrats dans le cadre d’un événement physique pour passer au crible les deux propositions, tester leur fiabilité et avancer dans cette réflexion.

Nous sommes également preneurs de vos remarques, de vos témoignages, et de toute votre intelligence pour mener à bien, collectivement, notre projet d’éclaircissement du droit pénal des affaires.

 

 

Lien pour lire l’ouvrage

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