Eléments de réponse à une légitime question posée par Martin Hirsch

28 janvier 2022

Motif coin large

Dans une récente tribune publiée dans Le Monde en sa qualité de président de l’Institut de l’engagement, Martin Hirsch avance sept propositions pour une « démocratie plus différenciée, plus personnalisée, plus participative ».

Le constat qu’il pose en introduction est convaincant : celui d’une démocratie prise au piège d’une contradiction fondamentale entre la montée de l’individualisme, d’un côté, et la nécessité de réponses collectives face aux défis d’aujourd’hui, de l’autre.

La sixième de ses propositions, intitulée « Associer la responsabilité à la solidarité dans les systèmes de protection sociale » – pour éviter les comportements de passagers clandestins -, a immédiatement attiré notre attention. Elle fait écho à nos récents travaux sur la nécessaire refondation de la protection sociale, la façon dont elle est formulée coïncidant exactement avec le fil conducteur de notre raisonnement.

Martin Hirsch s’interroge notamment sur la façon de concilier solidarité et responsabilité, soulignant l’actualité de cette question à l’aune de la pandémie (« est-il logique de bénéficier des soins gratuits quand on a refusé pour soi la vaccination gratuite ? »), et la nécessité d’y répondre (« si on ne veut pas voir les systèmes de solidarité affaiblis par manque d’adhésion ou par leur non-soutenabilité »).

En un sens, les pistes de réflexion récemment dégagées par l’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES) répondent en partie à cette question.

Pour concilier solidarité et responsabilité, il faut remodeler profondément l’architecture du système de protection sociale

Concilier solidarité et responsabilité suppose que les concepts aient une signification, notamment du point de vue des citoyens-assurés sociaux. Or, tel n’est plus le cas dans le système de protection sociale tel qu’il a évolué et que nous le connaissons aujourd’hui. D’une part, la conception de la solidarité semble élastique et son champ en expansion continue. D’autre part, ni les personnes, ni les institutions n’ont les moyens de mesurer réellement les conséquences de leurs choix et de leurs actes dans un ensemble devenu illisible et de plus en plus difficile à gérer (qui sait combien il paye, reçoit, pour qui, pour quoi ?).

De sorte que l’universalisation rampante du système de protection sociale tend à dissoudre la responsabilité dans la solidarité. Paradoxalement, et bien qu’il ne le dise pas expressément dans son texte, Martin Hirsch est un fervent partisan de cette universalisation[1].

Pourtant, solidarité et responsabilité pourraient sans doute être conciliées à condition de redonner sens et contenu à ces deux concepts. L’architecture renouvelée du système de protection sociale telle que proposée par 2IES opère cette combinaison en distinguant deux champs d’action :

  • La solidarité est l’effort de tous au profit de quelques-uns. Elle se justifie s’agissant des risques universels, i.e. les risques majeurs auxquels nous sommes tous potentiellement exposés mais que seuls certains, de manière aléatoire, subiront. Les garanties sont à ce titre gérées par l’Etat et financées par l’impôt.
  • La responsabilité invite chacun à se prémunir contre les risques auxquels il est confronté du fait de sa situation personnelle en se rapprochant de ceux qui sont dans une situation comparable. Les garanties attachées à ces risques (qui ne relèvent pas du champ de la solidarité) sont quant à eux gérées exclusivement par des organismes de protection sociale et financées par des cotisations.

Ce système dual-horizontal semble dès lors répondre à la préoccupation identifiée par Martin Hirsch :

  • Associer plus étroitement les citoyens-assurés sociaux à la gestion d’une large partie de leur protection ce qui devrait limiter les phénomènes de « passager clandestin » et les sensibiliser davantage aux enjeux de protection sociale, notamment en termes de prévention.
  • Resserrer l’action de l’Etat sur une solidarité clairement identifiée comme telle, ce qui devrait renforcer l’adhésion des citoyens au système.

Répartir ainsi clairement les rôles de l’Etat, des organismes de protection sociale et des citoyens-assurés permettrait de clarifier l’architecture du système de protection sociale et surtout d’inviter chacun à jouer sa partition. Bref, ce serait un bon moyen de « faire respirer notre démocratie ».

[1] Cette préférence pour un système universel, notamment en matière de santé, apparaît toutefois en filigrane dans la première proposition. Celle-ci consiste à revaloriser le référendum en autorisant les citoyens à choisir entre plusieurs options de réforme. Pour illustrer son propos, Martin Hirsch suggère que, par exemple, deux des scénarios d’évolution de la Sécurité sociale dégagés par le HCAAM pourraient être soumis au vote des citoyens.

Commentaires