Les deux économistes ont raison de revenir sur cette question du partage de la valeur : faute d’être résolue, elle revient régulièrement sur l’avant-scène, nourrissant des colères sociales toujours plus vives. Tant que le sujet ne sera pas correctement posé et traité, les déçus continueront à grossir les rangs des partis populistes.
L’examen en « aval » sur la répartition des profits ne dit néanmoins rien de la façon dont la valeur est générée en « amont ». Concrètement, rien ne dit que les investissements réalisés se traduiront en emplois. Aujourd’hui, ces profits impressionnants résultent en partie des performances réalisées à l’étranger, d’une forte mobilisation du capital, du fonctionnement des marchés financiers dopés par les politiques monétaires des dernières années plutôt que du travail fourni sur notre territoire. Sauf à la population à monter rapidement en compétence, il est possible que l’investissement dans la machine (le capital) soit plus rentable que l’investissement dans l’humain (le travail). Le serpent se mord la queue…
En d’autres termes, la question de la contribution du travail humain à la création de valeur précède celle de son partage. Elle est brûlante, existentielle : notre activité humaine, individuelle et collective, crée-t-elle de la valeur ?
Faire du travail humain un levier de création de valeur
De deux choses l’une. Ou bien nous prenons acte de l’attrition de la contribution du travail humain à la création de valeur. Le capital se substituera au travail, renvoyant celui-ci aux marges de la production et accélérant la polarisation des mondes. Dans ce cas, il est urgent d’imaginer les mécanismes redistributifs permettant de répartir une valeur concentrée et détachée de tout travail humain.
Ou bien nous ne renonçons pas à faire du travail humain un levier de création de valeur. Dans cette hypothèse, il est urgent de retrouver, à l’échelle de la Nation, des organisations ou de l’individu, une position d’acteurs. Il nous faut dès lors identifier les moyens de rapprocher les personnes des lieux de création de valeur et de mettre en places les moyens de contribuer activement à sa production. C’est la tâche à laquelle Richard Robert et Erell Thevenon se sont attelés dans un ouvrage publié par l’Institut pour l’innovation économique et sociale [Les nouvelles dimensions du partage de la valeur. Trois pistes pour sortir d’un débat mal posé, PUF, 2024].
Cette dernière approche nous paraît souhaitable. Elle est aussi terriblement exigeante. C’est cependant la seule qui considère le rôle anthropologique du travail, la seule qui ouvre sur un avenir commun et singulier. Dès lors, parlons partage de la valeur sans occulter la question de sa création, laquelle n’est pas dissociable des valeurs que nous nous choisissons.
Claude Tendil
Président de l’Institut pour l’innovation économique et sociale.
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