Dans une tribune récemment publiée par le quotidien Le Monde – qui consacre régulièrement des articles de fond au sujet de la protection sociale –, Clément Carbonnier et Bruno Palier[1] déplorent l’évolution du système de protection sociale. « On passe d’un système d’assurances, qui garantissait cette « sécurité sociale » face aux aléas de la vie et du marché, à un système qui conditionne l’accès aux prestations au comportement des bénéficiaires : la protection sociale désormais se mérite. […] Il s’agit de promouvoir une protection sociale dite « universelle » mais qui, de fait, ne constitue qu’un socle étatisé, minimal, parfois conditionnel et laissant libre cours aux compléments marchands. »
Le constat est sans appel et nous y souscrivons largement. Sommes-nous pour autant condamnés à cette peau de chagrin ? La proposition d’architecture nouvelle pour une « protection sociale du 21e siècle », telle qu’imaginée par l’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES)[2], permettrait d’éviter ces écueils.
A l’actuelle protection universelle minimale et trop souvent conditionnelle, cette proposition substitue une protection totale et inconditionnelle des conséquences des seuls risques universels. La nuance est de taille. Elle emporte deux conséquences sur le rôle dévolu à l’Etat, d’une part, et sur l’importance accordée au travail et à la responsabilité de chacun, d’autre part.
Un recentrage de l’Etat sur la protection des risques universels
Seule la protection contre les risques universels garantie par la Constitution relève de la responsabilité de l’Etat et de son action. Elle participe de la raison d’être de ce dernier et doit, à ce titre, être financée par l’impôt.
La proposition faite par 2IES rompt ainsi avec le système « vertical » actuel dont les conséquences sont, à juste titre, dénoncées par les auteurs. Il faut en finir avec le schéma au terme duquel la Sécurité sociale étend son champ d’intervention à tous les types de risques en même temps qu’elle réduit sa garantie, en se défaussant notamment sur le secteur privé pour compléter son action insuffisante.
Doit à l’avenir s’y substituer un système « dual horizontal » qui garantirait non seulement pour tous et de façon inconditionnelle les risques universels, mais aussi les risques particuliers par une couverture systématiquement adaptée à la situation de chacun. Marchant côte à côte, l’Etat et le marché régulé en viendraient à compléter utilement leurs actions respectives, tout en évitant les doublons de frais de gestion et en bénéficiant, chacun dans leur domaine d’intervention, de ce qui fait la force de leur modèle.
Un tel système permettrait de lutter contre la pauvreté et la précarité – notamment celle aujourd’hui mal traitée des travailleurs pauvres –, tout en renforçant significativement la protection sociale des plus fragiles et ce, tout en les incitant à exercer une activité professionnelle, même faible.
Une spirale vertueuse combinant solidarité et responsabilité
Aujourd’hui, si le travail ne permet pas toujours de bénéficier d’une protection sociale convenable, il éloigne le plus souvent ses titulaires d’un certain nombre d’aides ou prestations sociales conçues en termes de minima sociaux. En outre, comme le soulignent les auteurs, son bénéfice est parfois subordonné à des engagements ou à des conditions tenant à la personne plus qu’aux caractéristiques de l’emploi. A l’usage, le système se révèle aussi infantilisant que contreproductif.
Pour sortir de cette impasse, et comme expliqué précédemment, 2IES a fait la proposition de scinder la protection sociale en deux blocs. La première est la protection que l’Etat doit à chaque citoyen contre les risques de pauvreté et de maladie. Elle est universelle, inconditionnelle et totale.
Concrètement, la protection sociale d’Etat prendrait la forme, d’une part, d’une ressource de solidarité versée à tout citoyen majeur (contre le risque de pauvreté) et, d’autre part, d’une prise en charge des aléas de santé indépendants de la situation de la personne (risque maladie).
Or, s’agissant du bénéfice de la ressource de solidarité, celle-ci ne serait soumise à aucune condition de revenus ou de patrimoine et ce, à l’inverse de certaines prestations actuelles ayant un objet similaire, comme « revenu de solidarité active », « revenu d’engagement jeune », « minimum vieillesse ».
Elle serait au contraire cumulable avec des revenus d’activité, elle inciterait donc chacun à améliorer sa situation tout en lui permettant d’accéder à un niveau de vie supérieur. Bien entendu, elle serait majorée pour les retraités ou encore pour les personnes victimes d’un handicap ou d’une situation de dépendance. En reprenant les mots de Bruno Palier et Clément Carbonnier, la protection de la Nation contre les aléas de la vie courante n’a pas à se « mériter ». Lorsqu’elle se rapporte à des risques universels, elle est un droit.
[1] Désormais, la protection sociale se mérite, C. Carbonnier, B. Palier, Le Monde, 28 janvier 2022.
[2] Manifeste pour une protection sociale du XXIème siècle, Les Ozalids d’Humensis, 2IES, 2021.
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