Dans un récent article, David Thesmar et Augustin Landier[1] avancent une démonstration convaincante pour expliquer la montée du populisme. Selon eux, celle-ci ne serait pas liée aux ressources économiques, à l’ignorance ou au rejet des transformations sociétales mais à la « frustration créée par la disparition des espaces de socialisation traditionnels (Église, Parti communiste, lieu de travail même), et la promotion de l’épanouissement individuel comme une fin en soi ».
Si ce « clivage, individualisme contre aspiration au collectif, structure le débat présidentiel », comme le constatent les auteurs, c’est qu’il est une caractéristique fondamentale de nos sociétés occidentales contemporaines. Les tensions qui le traversent résultent, pour une large part, de ces injonctions simultanées et contradictoires : « moi je suis, moi d’abord, et surtout moi-même » tout autant que « tous ensembleeuuu, tous ensembleeuuu ! Ouais, ouais ! ».
Les candidats à l’élection présidentielle auraient ainsi choisi leur camp : individualisme et universalisme pour les uns, appui sur les valeurs du collectif pour les autres. Chacun devrait dès lors choisir l’un de ces modèles, suscitant incompréhension, désespoir ou colère de la part de ceux qui opteraient pour l’autre. Du clivage à la rupture, il n’y a qu’un pas que nous sommes sur le point de franchir… produisant autant que participant à la dislocation de la société dans son ensemble.
Esquisse d’une troisième voie
Mais peut-on imaginer un modèle qui tienne compte de ces deux exigences contradictoires ? Car, au fond, les tenants du vote extrême souhaitent aussi s’épanouir… tout comme ceux qui, attachés par-dessus tout à leur liberté, savent qu’ils ne peuvent ignorer la collectivité.
Pour notre part, nous pensons que c’est possible et d’ailleurs, modestement, nous l’avons fait ! L’ensemble des travaux de l’Institut pour l’innovation économique et sociale (2IES) repose sur cette colonne vertébrale qui tient en trois mots : autonomie, responsabilité et solidarité.
Déclinée au système de protection sociale – clé de voûte de notre pacte social –, cette approche conduit à en modifier profondément l’architecture. Au découpage actuel dit « base + complémentaire » – extrêmement complexe et coûteux au demeurant –, nous proposons de distinguer clairement les risques selon qu’ils relèvent de la solidarité nationale ou pas
- Ainsi, les risques auxquels toute personne est exposée (pauvreté et maladie) doivent être garantis par la collectivité dans son ensemble, au nom de la solidarité. Cette garantie est naturellement gérée par l’État (la Sécu) et financée par l’impôt.
- Les autre risques, particuliers dans la mesure où ils dépendent de situations ou de choix personnels, sont pris en charge dans le cadre de leur mutualisation.
D’une grande lisibilité, cette proposition combine de façon différente la solidarité, sans laquelle aucun système de protection sociale n’existe, et le respect des choix de chacun, fortement revendiqué.
Le second pilier de protection sociale qui résulte de la nouvelle organisation proposée est toutefois loin d’être la « jungle du chacun pour soi et que le plus fort gagne ». Au contraire, il s’arc-boute sur le collectif : c’est tout l’intérêt de la mutualisation que d’organiser par des règles collectives, la satisfaction d’un intérêt particulier, en misant sur la négociation et l’implication des intéressés ainsi responsabilisés et en situation d’agir. Une façon de recréer des espaces pour « faire ensemble » et ce, à l’aide de collectifs d’un genre nouveau qui ont vocation sans doute à se substituer aux institutions traditionnelles qui sombrent avec le siècle passé.
Bien plus qu’une audacieuse proposition technique, ce Manifeste pour une protection sociale du XXIème siècle[2] constitue un véritable projet de société en phase avec les attentes des citoyens. La proposition est novatrice sans toutefois faire table rase du passé puisqu’elle conduit à renouer avec… les fondements de la Sécurité sociale telle qu’elle fut imaginée au lendemain de la Guerre.
Erell Thevenon
8 avril 2022
[1] Les infortunes de l’individualisme, D. Tesmar, A. Landier, Les Echos, 8 avril 2022.
[2] Manifeste pour une protection sociale du XXIème siècle, 2IES, Les Ozalids d’Humensis, novembre 2021.
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