Lens, octobre 2019
A partir d’un scénario dont ils se sont emparés, les jeunes chefs d’entreprise de TRED UNION ont produit, en commun, un récit de fiction qui explore les grandes tendances du transport routier de marchandises et du monde du travail à horizon 2040.
Sans méconnaître les difficultés, entre futur souhaitable et anticipation raisonnable, privilégiant un regard positif sans négliger sa face plus sombre, ils projettent et se projettent dans un avenir articulé sur quelques intuitions fortes :
- Fonctionnement hyper-personnalisé du marché du travail : le collaborateur devient un consommateur de travail « à la carte »
- Qualité des services offerts par l’entreprise et « premiumisation » de la relation de travail : premiers leviers de recrutement et de fidélisation des collaborateurs
- Digitalisation, automatisation, ludification : des métiers plus qualifiés, une meilleure qualité de vie
- Basculement du secteur du transport vers l’économie de l’usage et adaptation aux contraintes environnementales
- Poids des données : déterminantes et centrales
- Sécurité et rentabilité renforcées par les technologies et l’utilisation massive des données
- Revitalisation des territoires ruraux en « circuit court » via l’alliance d’un habitat de qualité et de nouvelles activités économiques
- Complémentarité pertinente des différents modes de transport en ville
- Renouveau de l’attractivité des métiers du transport routier de marchandises et diversité croissante des profils
Nous sommes en 2020, c’est l’hiver. Martin, chauffeur routier d’une entreprise transport routier de marchandises, s’apprête à quitter la banlieue de Rennes, dont il est originaire, pour acheminer des marchandises jusqu’à Strasbourg. Hier, il a fait une grosse fête pour l’anniversaire de ses 25 ans. Au moment de prendre la route très tôt le lendemain, à l’heure où il fait toujours nuit, il est fatigué, mais conduire est son métier et il sait qu’il parviendra à rester concentré. Cependant, après avoir dépassé Paris, Martin se sent de plus en plus faible. Il baille, s’étire un peu, et se rapproche du fameux tunnel le plus long de France.
Il ouvre la fenêtre pour avoir de l’air, mais la pollution du tunnel rend l’odeur insupportable. Il referme la fenêtre. Il regarde dans son rétroviseur : personne. Le tunnel est désert. Les lumières sont chancelantes. A bord de ce camion qu’il connaît par cœur, et auquel il fait confiance, Il ferme un œil, puis l’autre, et sombre dans un lourd sommeil. Les lumières du tunnel s’éteignent.
Martin se réveille doucement. Il se sent terriblement engourdi, sa tête lui fait mal et son corps lui semble avoir vieilli de 20 ans. Paniqué, il se rend compte rapidement que son camion avance tout seul. Martin est complètement perdu : il a tout oublié. La lumière devient de plus en plus éblouissante. Le camion sort du tunnel, et se dirige tout seul vers une immense bulle faite de verre et de verdure.
Martin descend du véhicule, manquant de s’évanouir, et aperçoit au loin un groupe de personnes assises dans l’herbe. Il reconnaît alors, stupéfait, 2 membres de son entreprise : Paul, son patron, et Kevin, un collègue transporteur routier, Ils ont pris un petit coup de vieux… Il rejoint le groupe où il fait également la connaissance d’une nouvelle venue, Samira, une femme élégante qui est spécialiste du transport et de la logistique.
Nous sommes en 2040, et Martin cherche à comprendre ce qu’il s’est passé.
A peine remis de sa stupéfaction, Martin engage la conversation avec ses collègues : « Là, j’ai manifestement pris 20 ans dans la vue… Est-ce que je pourrais me remettre à travailler demain matin comme je le faisais en 2020 ? Et les retraites : quid de la grande réforme dont on parlait à l’époque ?
– Oh, là-dessus, le système n’a pas tant changé que cela », répond Paul. Le code du travail existe toujours !
– En revanche, on ne travaille plus du tout comme avant et les métiers ont beaucoup changé, précise Kevin. Aujourd’hui, je travaille à la carte : je viens travailler un peu comme si j’allais à la salle de sport. Tu vois la puce sous la peau de mon avant-bras ? Elle contient mes habilitations, l’historique de mes missions… Il me suffit de biper pour acheter des quotas d’heures, en faisant défiler une liste pour choisir ma prochaine mission.
– Mais alors, tu es toujours salarié ?
– Moi, non, répond Kevin. Le salariat existe toujours, mais il y a de plus d’employés « à la carte » ou de personnes qui exercent d’autres métiers à côté d’un job salarié. Mais je peux quand même profiter de certains avantages proposés par l’entreprise.
Samira intervient : « moi, je suis salariée. J’ai été attirée par tous les services que l’entreprise de Paul propose, côté professionnel mais aussi personnel. Le plus, c’est que Paul m’a proposé de devenir actionnaire, et je suis directement intéressée aux résultats de l’entreprise !
– J’ajouterais, complète Paul, que l’entreprise s’est aussi adaptée et qu’il existe des modèles très différents. D’ailleurs, notre secteur a tendance à privilégier les formes coopératives. Certains collaborateurs vont chercher la sécurité en rejoignant une entreprise, d’autres la flexibilité en travaillant pour une plateforme … Les entreprises comme on les connaissait avant sont devenues de vraies nounous ; elles font un peu ce que faisait l’Etat, l’école, les familles, avant. Les plateformes, ce sont des ruches. C’est très dynamique. En fait, on a le choix et cela dépend aussi des périodes de vie.
– Comment faites-vous pour fidéliser les collaborateurs ? demande Martin.
– Nous avons mis en place il y a quelques années un système de carte de fidélité, qui donne doit à des services supplémentaires à partir de dix transports effectués, par exemple. Ça fonctionne bien, explique Paul.
– Mais alors, concrètement, à quoi ressemble l’entreprise ?
– Clairement, les modèles économiques ont été éclatés et se recomposent différemment, explique Paul. Notre entreprise, comme les autres, a basculé dans l’économie de la fonctionnalité : la propriété a perdu du terrain ; les camions sont partagés, loués, ou achetés à plusieurs. On vend désormais un transport pour un chargement d’un point A à un point B, des heures de mise à disposition ou des quotas annuels de kilomètres. Finalement, notre entreprise travaille presque comme un grossiste !
– Mais alors, patron, est-ce que ton travail a également changé ? demande Martin à Paul.
– « Patron », c’est une peu de l’histoire ancienne, sourit Paul. Dans l’économie actuelle, mes homologues et moi sommes plutôt devenus des « leaders-chefs d’orchestre ».
– Tu as néanmoins bien conservé ton pouvoir disciplinaire, souligne Kevin, mi-figue, mi-raisin.
– C’est vrai, mais aujourd’hui, je dois rendre des comptes à tout le monde, y compris à toi et à tes collègues, rétorque Paul. Toutes les données de l’entreprise sont publiques, et gare à mon matricule si je manque à mon devoir de transparence ! Tu vois, Martin, à présent, détenir le capital ne suffit plus à m’assurer le pouvoir. Pour remplir pleinement mon rôle, je dois rendre le travail ludique, l’entreprise attractive, et donner du sens à l’activité de mes collaborateurs.
– Et la protection sociale, qu’est-elle devenue ?
– Elle existe toujours, répond Samira. Mais on a aujourd’hui un actif pour deux non actifs ; fatalement, elle n’est plus du même niveau ; les services proposés par l’entreprise permettent de compenser. La pauvreté a augmenté, notamment pour ceux qui n’ont pas su s’adapter… ».
Les questions se bousculent dans la tête de Martin… Brusquement, il voit Kevin grimacer, car il vient de voir sur son mobile une alerte au sujet d’un attentat dans un pays voisin, en lien avec la guerre larvée qui oppose la coalition européenne à des groupes rebelles. Le monde reste dangereux et les idéaux de paix n’ont pas vraiment progressé, songe Martin… Y a-t-il a eu plus de progrès sur l’environnement, alors que le transport routier était devenu, il y a 20 ans, la bête noire des militants écologistes ?
– « Comment avez-vous fait pour vous adapter aux contraintes environnementales ? demande Martin à ses collègues.
– On réalise de plus en plus transports de proximité pour répondre à la demande de consommation en circuits courts, répond Samira.
– Nos camions sont pucés et placés dans un marché du carbone, avec un droit à polluer dépendant des autorisations et des quotas, ajoute Kevin.
– Il y a de plus en plus de camions qui sont devenus neutres en émissions carbone grâce à un système de panneaux solaires et de rechargement automatique sur les routes, complète Samira. Ils produisent même de l’énergie pour le hub qui leur a servi de point de départ !
– Mais le mieux, c’est que tu te rendes compte toi-même de tous les changements, je vais t’emmener en tournée », propose Samira.
En montant dans son camion, Samira valide son identité grâce à la fameuse puce sous-cutanée qui contient les informations sur son entreprise et sur elle. Martin constate que le camion est entièrement automatisé. Il n’y a pas de volant, des tablettes permettent de gérer les livraisons et Samira a la possibilité de diriger un fret de véhicules connectés entre eux. Les conducteurs sont désormais plus proches des pilotes d’avion qui s’assurent que la machine fonctionne, ils sont là avant tout pour en assurer la surveillance et gérer les exceptions. Même le pare-brise est connecté !
Après une cinquantaine de kilomètres, c’est le premier point de livraison. Martin regarde les marchandises sortir toutes seules du camion sur un tapis roulant. Tout est scanné, et Samira n’a plus rien à faire du point de vue administratif. Elle n’a pas non plus besoin d’articuler son camion, qui est mis à quai automatiquement. Elle surveille la marchandise depuis sa cabine. Samira explique à Martin que tous les processus sont automatisés pour éviter les erreurs, ce qui permet de gagner en productivité, en sécurité et en qualité.
Sur la route, grâce à une nouvelle technologie de pneus increvables, on ne passe plus de longues minutes sous la pluie à changer une roue. Moins d’accidents, moins de bouchons, plus de policiers ni de radars : autant d’ennuis en moins pour les conducteurs ! Plus besoin non plus de s’arrêter aux péages … C’est commode, et cela permet aux entreprises de transport routier de gagner en rentabilité.
– « Dis-donc, c’est beaucoup plus facile qu’avant, commente Martin, assez admiratif. Mais je me demande si aujourd’hui, je ne m’ennuierais pas un peu…
– En fait, je suis très occupée, explique Samira. Pendant que je roule, je travaille sur une autre mission ; j’ai toujours un œil et une oreille sur les écrans et quand il y a un bug, cela peut devenir très pointu et c’est vraiment intéressant. Finalement, je trouve mon travail très fun ! Regarde : grâce à un système de réalité virtuelle, je peux m’échapper de l’environnement réel de la route et décider de conduire au cœur du désert ou de la forêt tropicale ! On peut varier les possibilités à l’infini… Aujourd’hui, mon camion est devenu un de mes lieux de vie, je peux y suivre ma série préférée, faire mes courses, préparer mes prochaines vacances…».
La prochaine étape de livraison se passe en pleine campagne. En effet, la production s’est rapprochée des consommateurs à travers de petites unités qui ont essaimé sur tout le territoire, en particulier en zone rurale.
Samira et Martin s’arrêtent chez une agricultrice, Morgane, qui a su tirer parti du nouveau centre logistique créé par TRED UNION dans cette zone de campagne, qui permet de massifier les chargements de produits locaux issus des fermes des environs (alors que Martin se souvient qu’en 2020 les commandes au coup par coup sur Amazon faisaient rouler de nombreux camions à vide). Cette initiative du secteur du transport routier permet à Morgane et à ses collègues fermiers de pouvoir s’intégrer à un circuit de distribution au niveau national. Ainsi, Morgane produit à partir de son blé, une espèce ancienne qui avait quasiment disparu, des pâtes qui ont été primées dans des concours de dégustation et qu’on peut se procurer désormais dans toute la France, notamment via l’e-commerce. Ce nouvel accès au transport a poussé les agriculteurs de la région à de nouvelles initiatives et à une montée en gamme, le tout au profit du made in France !
Puis le camion traverse un village que Martin connaît bien et qui était complètement mort en 2020 : l’école, la poste, la boulangerie et le café avaient progressivement fermé ; les habitants les plus jeunes rentraient de leur travail situé en centre-ville pour rejoindre leur village devenu une sorte de village-dortoir, avec des voisins vieillissants et aucune animation. Samira lui explique que tout a changé. En effet, pour renforcer l’attractivité de leurs métiers et recruter et fidéliser leurs collaborateurs, Paul et ses équipes ont investi dans le village en achetant plusieurs belles maisons qu’ils proposent à des tarifs préférentiels à leurs collaborateurs. Ils ont aussi établi sur place des facilités de maintenance et de gardiennage des véhicules de transport, ce qui permet aux conducteurs de garer le camion à côté de chez eux le soir et partir directement de chez eux le matin. Ils n’ont plus à faire le trajet, souvent de 45 mn, jusqu’au siège de l’entreprise pour prendre leur camion avant d’aller le charger au centre logistique. Par ailleurs, les conducteurs sont désormais habilités à faire la maintenance, ce qui leur simplifie la vie. Du coup, l’entreprise de Paul a pu pallier les pénuries de compétences.
L’entreprise a aussi investi en financement participatif dans la réouverture d’un café-restaurant du village, un projet qui fait la part belle aux animations en soirée et pendant le week-end. Cela a attiré des clients et de nouveaux habitants, séduits par l’alliance de la vie villageoise au sein de la nature et d’une vraie animation avec des fêtes, des barbecues, des concerts… Le transport routier de marchandises a eu un rôle précurseur dans la revitalisation de ce village, car cette nouvelle dynamique a incité d’autres acteurs économiques à faire de même !
La dernière partie de la tournée rejoint le centre-ville. Martin se souvient du bazar qui sévissait dans la ville en 2020, entre les embouteillages de la rocade aux heures de pointe, les accidents de vélos et de trottinettes sur des voies empruntées par tous les véhicules, des plus rapides aux plus lents… Il se souvient de ces objets vandalisés, voire jetés dans la rivière… Du cauchemar des livraisons avec aucun espace pour se garer, des voitures parquées en toute illégalité sur les places livraison…
Aujourd’hui, l’une des nouvelles missions de l’entreprise de Paul consiste à organiser et à rationaliser les différents modes de livraison mais aussi de transport en général, en travaillant l’articulation entre les différents moyens (camions, drones, vélos de livraison…) et en monitorant en temps réel le partage équitable et efficace de la voirie terrestre et aérienne entre les différents acteurs (piétons et personnes privées véhiculées, livreurs, acteurs économiques, taxis…).
C’est le travail d’Agathe, que Martin avait connue assistante de direction en 2020. Après une formation interne assez intense, elle est devenue la responsable technique de ce service. Agathe a su, en particulier, tirer parti de la quasi-disparition de la voiture individuelle en ville. Elle a récupéré tous les espaces libérés par les voitures comme les parkings, pour en faire des entrepôts de livraison au cœur de la ville. Elle est particulièrement fière de contribuer à rendre la vie urbaine plus agréable, moins stressante, et d’aider la renaissance du commerce de centre-ville !
La journée touche à sa fin. Il est temps de rejoindre un hub pour dîner et passer la nuit. Le camion arrive dans un hub TRED UNION, où Samira est impatiente de retrouver sa famille qui est venue la rejoindre. Martin comprend pourquoi il n’y a plus d’espace couchette dans le camion. Avec ces hubs bien répartis sur le territoire, la vie des routiers n’a plus rien d’épuisant… On est loin des aires d’autoroute ! Les routiers font halte dans des lieux de vie, souvent aménagés au cœur d’espaces naturels.
Ce soir, le camion de Samira entre dans une forêt qui abrite le hub le plus proche de la ville. En descendant du camion, Martin lève la tête et aperçoit des cabanes perchées dans les arbres. Les conducteurs viennent y passer la nuit. Dans la clairière, ils ont accès à des espaces de relaxation, comme un cinéma, et à des services de restauration qui n’ont rien à envier à l’époque de la délicieuse cuisine des relais routiers. Ce hub est connu, dans la région, comme un des meilleurs espaces de sociabilité entre les routiers. Sans compter qu’il comprend un pôle logistique et qu’il est adapté au rechargement de fret !
Samira salue de nombreux collègues d’autres entreprises. Martin constate qu’il y a beaucoup plus de femmes qu’avant, et que les looks sont devenus très divers. Le style « Martin 2020 » qui privilégie le confort pratique du professionnel de la route est toujours bien représenté, mais il y a aussi le vernis à ongles impeccable de Samira, et même le côté décadent grunge d’un jeune collègue… Manifestement, le secteur a fait évoluer ses codes pour attirer des profils nouveaux pour un métier qui a retrouvé ses galons !
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Merci à Alexandre, David, Gregory, Julien, Mégane, Pierre-Franck, Mickaël, Mickaël, Richard et Vincent. Tous ont entre 25 et 35 ans et ont récemment repris les rênes d’une entreprise familiale ou s’apprêtent à le faire. Ils sont à la tête de 50 à 150 salariés et autant de véhicules qui rayonnent depuis les régions d’Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire, Hauts de France, Normandie. Ils envisagent l’avenir avec lucidité et responsabilité. Ces jeunes dirigeants sont membres du réseau Tred Union, animé par Jean-Christophe Edy grâce à qui cet atelier a pu se tenir.
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