Leurs expertises sont très recherchées, les entreprises se disputent leurs compétences. Ils savent ce qu’ils valent et ce qu’ils veulent. Ils sont en quête de sens, ont soif d’expériences.
« Talents » courtisés, ils sont exigeants et rebattent les cartes des relations de travail. Statut, organisation de travail, rémunération… : autant de sujets qu’ils mettent sur la table, bouleversant le rapport de forces traditionnel avec les entreprises. Des entreprises qui doivent désormais les séduire…
Qui sont ces « talents » ? Quels sont leurs compétences, leurs métiers ? Comment, et avec quelles marges de manœuvre, les entreprises les attirent-elles et les fidélisent-elles ? Quels obstacles rencontrent-elles face à ces défis ? Comment les lever ?
Pour répondre à ces questions, 2IES a réuni des dirigeants d’entreprises de tailles et de secteurs différents. Jean* et Pierre*, entrepreneurs spécialistes du recrutement sur les métiers du conseil ; Philippe*, business angel et serial entrepreneur, notamment dans le développement d’outils d’AI ; Benoit*, cadre dirigeant d’un groupe international dans le secteur de l’énergie, ancien dirigeant d’une PME spécialiste de la conception de solutions numériques dans le secteur de l’énergie ; Claire*, DRH de filiales d’un groupe international, qui développent des offres numériques; Louis*, cadre dirigeant de grandes entreprises puis directeur général d’une insurtech.
*Les prénoms ont été modifiés.
Entreprises recherchent désespérément des experts-leaders
Les experts du code et de la donnée s’arrachent. Pour les entreprises contraintes d’inventer ou de réinventer leurs activités et d’évoluer dans des environnements toujours plus complexes, ces profils constituent une ressource stratégique très convoitée.
Commençons par les « dev. ». Pourquoi sont-ils si rares ? « Ce n’est pas une question de volume, affirme Philippe. Des développeurs, il y en a plein. Le problème est que le niveau moyen est vraiment… moyen. Ce dont on manque, c’est de bons développeurs. Et les « bons » sont accaparés par quelques entreprises qui payent le prix fort pour les avoir. »
Qu’est-ce qu’un « bon » développeur ? Si ce n’était qu’une question de volume, cette pénurie pourrait être résolue par des recrutements à l’étranger, notamment en Afrique du Nord, ou par la formation. Les choses sont évidemment plus complexes. Les talents les plus prisés sont ceux qui certes savent coder, mais savent aussi enrichir les algorithmes, cibler la donnée. Ceux qui maîtrisent autant les aspects techniques que la complexité des environnements dans lesquels les projets s’inscrivent.
Ce sont ceux qui « combinent savoir-faire technique et savoir-être humain et managérial ».
« Toutes les entreprises sont en quête du « miracle du lead dev. » ! » diagnostique Benoit car les « bons attirent les bons ». C’est un comportement caractéristique de ces populations, qu’il faut avoir à l’esprit. Les « bons » développeurs sont en quête constante de découverte et d’expériences nouvelles. Ils se reconnaissent entre eux et viennent pour un pair grâce auquel ils espèrent progresser.
« Nous avons dû adapter nos stratégies de recrutement. Ces profils ne postulent pas sur les sites dédiés de nos entreprises. Il faut miser sur le bouche-à-oreille ou aller sur leurs propres réseaux, témoigne Claire.
La situation des développeurs n’est que l’arbre qui cache la forêt. Ces tensions se retrouvent sur bien d’autres marchés, avec des caractéristiques comparables. Pierre souligne par exemple qu’« une génération de consultants IT seniors manque à l’appel ; ils sont donc très courtisés. Les spécialistes en data analytics, ces gens qui savent traiter et analyser de la donnée, sont eux aussi très recherchés. »
Développeurs, certes, mais aussi architectes de systèmes d’information, product owners , scientists, ou encore actuaires… S’ils sont forts de compétences pointues, d’expériences diversifiées et doté d’un savoir-être éprouvé, ils dominent un marché du travail tendu.
Talents en quête de sens, management réparti et leader inspirant
Parmi les aspirations de ces personnes que les entreprises cherchent à recruter, la rémunération joue , c’est indéniable. Mais ce n’est pas le seul levier de motivation. D’autres préoccupations entrent en ligne de compte.
« Le sujet du salaire est rarement abordé car si vous recevez le candidat, c’est que vous acceptez son prix, témoigne Benoit. La conversation va se concentrer sur trois questions. Ils demandent, 1) « sur quoi bossez-vous ? » La question du sens est centrale. C’est plus facile si votre business est concret ou résonne avec leurs préoccupations. Les énergies nouvelles, par exemple. 2) « quelles technologies employez-vous ? » Et, surtout, 3) « comment travaillez-vous ? ». Ils nous interrogent sur notre organisation. Beaucoup d’entreprises, à la structure hiérarchisée, pyramidale et « en silos », sont surprises par cette question et forcées d’évoluer… sous peine de les perdre ! » ajoute-t-il.
« On est rentrés dans un rapport marchand auquel on ne s’attendait pas, dans un dialogue » Qu’est-ce que j’offre ? Qu’est-ce que, toi, tu m’offres ? » »
« Il faut se placer dans la perspective de ces jeunes : ils ont été éduqués par des parents moins autoritaires que ceux des générations précédentes, qui leur ont dit qu’il fallait qu’ils s’épanouissent et choisissent leur avenir. Une fois qu’ils arrivent sur le marché du travail, ils ne sont pas prêts à se soumettre à un carcan », décrypte Jean.
« Ces attentes ne sont pas celles des seuls talents qu’on s’arrache, mais celle de l’ensemble de cette génération et, au-delà, de toutes les générations, souligne Louis. Les plus jeunes osent disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas ; il y a urgence à se saisir de leurs nouvelles aspirations. »
S’en saisir, c’est oser transformer profondément les organisations, c’est faire le pari de concrétiser des concepts tels que le « management réparti », ou « l’entreprise libérée ».
Définitions
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« Nous avons fait évoluer notre organisation vers davantage d’horizontalité, réduit les niveaux hiérarchiques, raconte Claire. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’agencement des espaces de travail. Cette population [ndlr : en l’occurrence, des développeurs] a un rapport au travail nouveau ; ils démarrent leur journée plutôt tard ; ils ont des temps de concentration courts ; ils attachent beaucoup d’importance aux activités extraprofessionnelles ; ils ont réellement besoin de temps et d’espaces de respiration. Les baby-foot et les coussins de sieste ne sont pas des éléments cosmétiques. Le besoin de se relaxer, de se détendre, de partager de bons moments avec les collègues, de se déplacer dans l’espace de travail ou d’en changer sont de réelles conditions de leur productivité .»
Autre illustration avec l’expérience de Benoit : « Il y a quatre ans, nous avons basculé vers des modèles d’équipes sans chef et d’entreprise libérée. C’est ce rapport de force inversé qui nous a poussé à trouver des réponses aux demandes de nos collaborateurs. Ils nous choisissent et non plus l’inverse. » « Vous y seriez venus tôt ou tard, tout simplement parce que c’est efficace ; ces méthodes se développent d’abord parce qu’elles produisent des résultats » observe Jean. « Certainement, complète Benoit, mais pas aussi vite et pas aussi loin. Ils nous ont fait prendre conscience de cette urgence. »
Les mégastructures hyper-pyramidales sont-elles vouées à la disparition ? L’avenir réside-t-il alors dans les systèmes agiles et les démarches holacratiques ? « Il faut manier ces concepts, d’entreprise libérée etc., avec des nuances », considère Pierre. D’une part, derrière les mots, seule compte la réalité des faits : « peu nombreuses sont les organisations qui parviennent à les mettre vraiment en place ». D’autre part, « équipe sans chef » ne signifie pas équipe ou entreprise « sans leader » ». « Ecraser quelqu’un sous le poids de la hiérarchie ne fonctionne plus ; ces personnes attendent en revanche un leader porté par un élan, renchérit Philippe. Il n’a pas besoin de tout connaître, mais il doit savoir écouter les gens du terrain et inspirer par sa vision ».
« On ne connaît pas le futur des métiers, les gens ont parfaitement conscience que leur métier sera bientôt obsolète ; ils attendent du leader qu’il incarne la capacité à savoir évoluer, à se réinventer. »
La jeune génération ne se prive d’ailleurs pas d’exprimer librement ces attentes et ce, dès l’entretien d’embauche, comme en témoigne Louis : « Il y a deux ans, j’ai reçu en entretien une jeune femme de 29 ans pour un poste d’actuaire. A la fin, je conclus en lui disant que j’ai trouvé sa personnalité intéressante. Et elle me répond : « Vous aussi vous êtes intéressant. » Sans impertinence, simplement avec une sincérité que les précédentes générations ne s’autorisaient pas ! Je l’ai embauchée. » On a une image erronée de ce qu’ils sont réellement. « Ils ne sont pas si différents des plus « âgés », relate Claire. Un candidat que nous convoitions a décliné notre proposition, au motif que nous ne proposions pas de… RTT ! »
« L’entreprise ambitionne de vendre une expérience client exceptionnelle, le collaborateur attend une expérience de travail exceptionnelle en miroir », ajoute Claire. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre et autant de défis posés aux entreprises : « Raison d’être de l’entreprise et organisation doivent résonner ensemble, complète Jean.
Ce qui est recherché est en réalité la possibilité « d’appartenir à un véritable collectif et celle de voir l’effet de ses actions ».
Certains candidats privilégient alors ouvertement les « structures à taille humaine », dont Philippe propose une définition en rappelant « le nombre de Dunbar » : environ 150 personnes. » [ndlr : dans une étude publiée en 1992 l’anthropologue britannique Robin Dunbar évalue à 150 le nombre maximum d’individus avec lesquels une personne peut entretenir simultanément une relation humaine stable, se fondant sur la taille du néocortex impliqué dans les fonctions cognitives dites supérieures].
Benoit poursuit : « Appartenance à un collectif et salariat ne sont pas liés dans l’esprit de ces profils recherchés. Bien au contraire, nombreux sont ceux qui ne veulent pas du tout être salariés ; pour eux, le salariat est synonyme de dépendance ; ils craignent et rejettent la subordination qui caractérise le salariat », précise-t-il.
Ces populations sont très informées et ont une conscience aigüe de la rapidité de péremption des compétences. De leur point de vue, dans un monde instable et qui accélère, entre indépendance et salariat, le second est le « pire des deux mondes, décrypte Philippe. Vous êtes moins payé, vous n’avez pas de participation dans l’entreprise qui vous permet de vous créer un patrimoine. Mieux vaut prendre tout, tout de suite, plutôt qu’une sécurité illusoire et une retraite aléatoire. »
Séduire et fidéliser : des marges de manœuvre à explorer pour accompagner les entreprises
Soumises à ce rapport de force inversé, les entreprises n’ont d’autre choix que de s’adapter. Comment concilier ces exigences avec les contraintes du management d’une entreprise, surtout si elle est grande ? Comment transformer les organisations ? Pour les participants, les solutions sont d’abord à chercher dans l’évolution des pratiques managériales qui, souvent, butent sur le cadre juridique.
Formalisme : la pesanteur du droit face à des individus, des organisations et des activités en quête d’agilité
« Nous souffrons plus de lourdeur dans l’exécution que d’obstacles véritables, constate Claire. Le code du travail nous impose des obligations complètement décalées par rapport à l’état d’esprit de nos équipes. Des délais, des formalités… » La procédure de licenciement économique, par exemple, impose un formalisme fondé sur un contrôle de la décision de l’entreprise et la protection du salarié. Dans ces secteurs très dynamiques où les collaborateurs sont très employables et où les échecs sont acceptés, ce formalisme n’est pas compris par les acteurs dont, de surcroît, il retarde le rebond.
L’entretien annuel est un autre exemple d’obligation légale qui semble complètement décalée par rapport à la réalité vécue par ces acteurs : « C’est un rituel absurde pour ces collaborateurs, qui attendent des feedbacks au fil des projets ; cela ne correspond pas du tout à leur rythme de travail », estime Philippe.
Organisation et temps de travail : quand les souhaits partagés des collaborateurs et des entreprises se heurtent à un encadrement juridique obsolète
Le télétravail est un exemple typique de ces situations. Les participants reconnaissent que le développement du télétravail, favorisé par les évolutions législatives récentes, est une avancée bienvenue : depuis plusieurs années, c’était un non-sujet pour les recrues. « Les candidats n’imaginaient pas une seconde que ce ne soit pas possible. La loi nous a permis de régulariser des situations qui étaient exigées par les salariés, sous peine de les voir partir », raconte Louis.
Cependant, même élargies, les possibilités de recourir au télétravail restent en-deçà des attentes des collaborateurs. Dans certains cas, il devrait être possible d’aller plus loin, notamment « lorsque l’employeur et le salarié se font confiance, que la culture managériale a basculé, que le manager accepte de lâcher prise, abandonne le micro-management » suggère un participant qui cite le cas d’un collaborateur de grande qualité qui à sa demande, chaque mois, télétravaille une semaine depuis le Brésil.
« L’enjeu n’est pas d’étendre massivement ou systématiquement le recours au télétravail, précise Claire. L’entreprise doit pouvoir le cadrer en fonction de ses objectifs et de la cohésion d’équipe qu’elle souhaite entretenir, parfois en restant en-deçà des demandes des collaborateurs ».
L’encadrement du temps de travail reste un casse-tête juridique
L’encadrement du temps de travail reste un casse-tête juridique pour ces entreprises à l’avant-garde. Certes assoupli par les lois récentes, il reste calé sur des modèles d’organisation et de production qui ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. « Avec des populations cadres, il n’y a pas de problème. Mais dès qu’on est sur d’autres profils ou des temps partiels, par exemple, la contractualisation devient très compliquée quand on souhaite coller à des rythmes d’activité particuliers. C’est une vraie limitation », explique Jean.
Partage de la valeur : participation, intéressement, actionnariat salarié sont-ils les bons outils ?
« L’ ‘’equity’’ [ndlr : l’association au capital de l’entreprise] est un levier de motivation qui n’est peut-être pas suffisamment pris en compte, suggère Claire. Ces populations ont souvent créé une entreprise, ou évoluent dans des milieux de start-up. Les outils proposés par les groupes peuvent leur paraître relativement peu attractifs en comparaison. Je pense qu’il y a là un champ de réinvention ».
Choix du statut : quand, sous la pression des collaborateurs, les entreprises flirtent avec les limites légales.
Les métiers de l’IT sont des métiers de freelances, souvent par choix des intéressés qui y trouvent, outre un sentiment de liberté, une dynamique, un moyen de maintenir et de développer leurs compétences grâce à la diversité des missions qu’ils vont chercher ou qui leur sont proposées. A leurs yeux, « le statut a en réalité moins d’importance que la mission ».
« Les deux-tiers de mon effectif sont sous des statuts autres que le salariat. »
Ces freelances s’organisent pour se rendre visibles et aisément mobilisables, via des plateformes. Malt, par exemple [ndlr : Malt regroupe près de 90 000 freelances tous métiers confondus et facilite la relation contractuelle du premier contact au paiement de la mission. Compétences, tarifs et avis des précédents clients sont ouvertement partagés].
Pour les entreprises, cela implique de conjuguer différents statuts et de combiner des compétences au gré des projets.
« Certaines personnes sont en EIRL [ndlr : entreprise individuelle à responsabilité limitée], d’autres se sont associés à deux ou trois, d’autres encore passent par des agences d’intérim. Cela contraint les entreprises à jongler entre différents types de contrats », témoigne un participant.
Or, pour susciter la fidélité, il faut tisser et entretenir des liens forts avec les indépendants. C’est l’intégration à une communauté et l’intérêt pour la mission qui génèrent cet attachement. « Mon prédécesseur différenciait les modes de communication et séparait les rites entre les salariés et les autres. Cela créait un décalage, presque une schizophrénie. J’ai décidé de changer cela : désormais, l’ensemble des gens sont considérés comme faisant partie d’une même équipe ». Au risque de voir planer constamment le risque de requalification…
« Je rêve de salarier ces personnes ; mais ils ne le veulent pas. Je n’ai pas le choix ! » Pour limiter ce risque, les directions achats de certains groupes renouvellent régulièrement l’ensemble des contrats de prestation de services, de façon mécanique, au détriment du bon déploiement des projets et des intérêts des prestataires.
Dans ce contexte, de quel champ d’action les entreprises disposent-elles pour mieux attirer les talents en tension ? Un participant suggère d’explorer la mise en commun des compétences à travers une forme de prêt de main-d’œuvre : « Dans le monde des devs, cette pratique existe déjà. Nous avons ainsi partagé un développeur avec une autre entreprise et cela a très bien fonctionné. Il a eu l’impression d’apprendre beaucoup de choses et a pu les partager autour de lui. »
« Il y a une réflexion à avoir sur le contrat de travail. Le CDI est-il le modèle d’avenir ? Ne devrions-nous pas nous inspirer de l’intérim pour centrer le cadre contractuel sur la mission, le projet ? Comment privilégier la liberté d’action ? », s’interroge Claire.
Et la protection sociale : quand il devient urgent de réinventer des protections sociales adaptées aux nouveaux enjeux
Finalement, les réponses ne sont-elles pas d’abord à trouver du côté de la protection sociale ? Les participants reconnaissent que cette posture consistant à privilégier un statut d’indépendant sur le salarié n’est pas exempt de risques en l’état actuel du droit. « Le sujet de devenir salarié d’une entreprise se pose quand la vie de ces personnes change brusquement, quand un enfant arrive, quand des problèmes personnels, notamment de santé, apparaissent. Quand il se sent déstabilisé, l’être humain a soudain besoin de sécurité et de prévoyance. Et aujourd’hui, le CDI reste le meilleur garant d’une protection. Le modèle social français n’est pas du tout adapté pour les freelances », analyse Benoit. « L’option pour l’une ou l’autre forme est fonction des phases de vie », confirme Claire.
« Nombreux sont les indépendants qui ne se protègent pas et peuvent soudainement se retrouver en risque. Si jamais une crise se déclenchait – on évoque déjà les prévisions de croissance ralentie de grandes entreprises et de la Chine – , on observerait probablement un infléchissement », ajoute Philippe.
« Il faut casser les lourdeurs d’un système de protection qui n’est plus en phase, pour répondre aux enjeux de notre époque. »
« Des structures telles qu’Alan et WeMind représentent par exemple des initiatives intéressantes », souligne Louis. [ndlr : Alan est une Insurtech française qui ambitionne de rendre la mutuelle santé simple et accessible à tous ; WeMind propose des protections adaptées aux besoins des indépendants, depuis des mutuelles jusqu’à une garantie logement et une négociation de prêt immobilier].
Le droit social n’est pas seul en cause…
Les origines des blocages ne résultent pas seulement du droit du travail ou de la structure de notre système de protection sociale. En amont des questions de recrutement et de fidélisation, l’identification des « talents » bute sur… la réglementation des données personnelles.
« On pourrait développer de nouveaux outils pour détecter des compétences difficiles à refléter dans un CV, témoignent plusieurs participants. Les coding games et autres outils de mise en situation des candidats sont une piste à explorer mais la réglementation sur les données nous empêche d’exploiter pleinement le potentiel des technologies ». De surcroît, ces outils permettraient également d’accélérer les processus de recrutement. Le temps de recrutement d’ un développeur, par exemple, ne doit pas dépasser trois semaines. Au-delà il a filé !
« On a un vrai sujet de cartographie des compétences. Il y a une déconnexion entre l’offre et la demande. Les compétences sont un sujet complexe que chacun décrit avec ses mots, les éléments pertinents sont mal renseignés et référencés », explique Philippe. L’intelligence artificielle, combinée à l’intelligence humaine qui sait déceler le potentiel d’un collaborateur, ouvre de nouvelles perspectives.
De même, les pratiques de win-back, consistant à laisser partir un collaborateur pendant un temps avant de faciliter sa réintégration, ou de mobilisation des « anciens », butent sur l’impossibilité de conserver l’information. « On parle d’employabilité, on nous demande de former et de reformer les gens et on nous empêche de conserver les données les concernant, confirme un participant.
« Il est normal qu’il y ait des garde-fous, en raison d’acteurs qui ne s’embarrassaient pas de procédures. Mais il faut trouver un juste milieu », précise Claire.
« Finalement, on a un vrai problème de culture. »
« Il y a un travail de sensibilisation et de pédagogie colossal à faire sur ces sujets auprès de ceux qui écrivent les normes », alerte Louis. « Est-ce normal que l’entreprise qui forme massivement les Français au numérique soit un géant américain ? » Les grands acteurs – aujourd’hui américains, demain chinois ? – du numérique, eux, ne se privent pas, bien au contraire, de déployer des stratégies offensives.
Pédagogie et réinvention des institutions, deux chantiers colossaux auxquels les participants se déclarent prêts à contribuer.
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Quel champ de réflexion ces échanges ouvrent-t-il pour 2IES ?
S’il est difficile de dire ce que seront les métiers de demain, il est probable que l’avenir appartienne aux hyper-spécialistes et aux leaders-généralistes.
« Les entreprises cherchent des « bons ». Si on arrive à embaucher quelqu’un de talentueux, les autres suivent. » Pour les séduire, les entreprises devront jouer sur la palette des motivations qui sont d’abord celles d’une époque : quête de sens, d’autonomie, de leadership mais – gardons-nous d’une vision trop romantique du marché du travail – aussi de rémunération. « Le problème est que les vrais bons vont à l’étranger pour des raisons de salaire ».
L’organisation des entreprises s’adapte, sous les coups de boutoir des changements économiques mais aussi sous la pression sociale de ceux qui sont les moteurs de ces changements.
Aujourd’hui, la difficulté est double. Elle est d’abord d’ordre culturel « le plus difficile est d’expliquer à un chef qu’il ne doit plus être chef ». Elle est aussi d’ordre juridique. L’organisation du travail dans les entreprises s’inscrit dans un environnement juridique qui doit aujourd’hui évoluer. Le numérique transforme les chaînes de valeur, bouleverse l’espace et le temps de travail, modifie les comportements des travailleurs. L’entreprise ne dispose pas aujourd’hui des marges de manœuvres permettant de s’adapter aux besoins et attentes qu’expriment les plus libres d’entre eux, qui sont aussi ceux dont elles ont le plus besoin.
Le CDI reste le centre de gravité de nos institutions de protection sociale. Du point de vue du travailleur, il est synonyme de protection – y compris pour ceux qui ont d’abord privilégié l’indépendance, et qui s’y réfugient quand les choses tournent mal (crise) ou se compliquent (contraintes familiales). Du point de vue de l’entreprise, il serait un moyen de « s’attacher » des salariés convoités.
Ce postulat, qui ne colle plus à la réalité du travail, est mortifère. D’une part, fidélité et statut sont déconnectés. La fidélité naît de l’appartenance à une communauté ou à un projet et de la capacité de l’entreprise à conjuguer les apports des acteurs de son écosystème. D’autre part, le CDI tend à décourager le salarié de se former (« Je suis en CDI donc je suis formé ! Je suis en CDI donc pourquoi me former ? »). Un des apports de l’atelier est de souligner ces deux éléments, rarement cités dans les débats, qui ouvrent des champs de réflexion pour réinventer nos institutions de protection sociale.
Ces échanges confirment la nécessité de dissocier protection et statut pour s’intéresser davantage à la personne. Ils invitent en creux à rechercher des moyens de construire cette protection en s’appuyant sur les formes diverses de contractualisation de l’entreprise avec les acteurs de son écosystème.
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Notre démarche
2IES propose de penser et de dessiner un droit des relations professionnelles, notamment salariées, adapté aux situations de travail nouvelles. Ce processus de co-construction s’appuie sur une conviction, un pari et une démarche.
Une conviction : nous sommes convaincus que les entreprises, leurs dirigeants et leurs collaborateurs, ont les capacités pour imaginer nombre de réponses aux défis auxquels ils sont aujourd’hui confrontés.
Un pari : nous faisons le pari qu’en partant des expériences et des aspirations des acteurs de l’entreprise, de ce qui se passe ou pourrait se passer dans l’entreprise, nous pourrons inventer le futur. C’est dans cet esprit que nous réfléchissons aux adaptations de notre droit du travail.
Un esprit d’ouverture, de test et d’itération : nous privilégions l’ouverture et l’itération. Chaque atelier dit « Pionnier » est singulier. Tous sont riches. La pertinence et l’efficacité des propositions que nous espérons pouvoir délivrer sera le fruit de cette réflexion collective et de notre capacité à capitaliser sur des expériences et des compétences d’une grande variété.
Si vous aussi vous souhaitez rejoindre un atelier Pionnier, contactez-nous !
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