En complément d’un article en faveur du revenu universel « tout court » proposé par Gaspard Koenig
« Pour pouvoir s’acheter des pâtes, devra-t-on ramasser les feuilles mortes ? ». Dans une récente tribune publiée par Les Echos[1], Gaspard Koenig, s’insurge contre les propositions consistant à subordonner le bénéfice du RSA à une activité minimale[2]. En conclusion de son papier, il suggère d’« ajouter, selon le souhait de Thomas Paine, un dernier article à notre Déclaration des droits de l’homme : « Tout être humain a droit à la subsistance. » »
Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit déjà que tout être humain qui se trouve dans l’incapacité de travailler a droit de recevoir de la collectivité des moyens convenables d’existence. Ce vœu de Gaspard-Paine est déjà en partie réalisé. Cette obligation fait partie du bloc de constitutionnalité. Reste à le mettre en œuvre.
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Une façon de le faire est, comme le propose de longue date Gaspard Koenig, de mettre en place un revenu universel. Dans les faits, si l’on additionne les aides et chèques distribués à tour de bras par les pouvoirs publics depuis bientôt deux ans, nous n’en sommes pas loin. D’autant que la tendance pourrait se poursuivre pour les raisons que l’on sait. Alors, effectivement, autant aller au bout de la logique et passer au revenu universel inconditionnel. Cette proposition a le mérite de la lisibilité et de la transparence[3]. Elle ne dit cependant rien sur la façon dont ce revenu universel s’articulerait avec le système de protection sociale.
Une approche voisine est possible. C’est celle qu’a retenue l’Institut pour l’innovation économique et sociale [2IES] dans un ouvrage récent[4].
Du revenu universel « tout court » au revenu universel « plus fin »
Les membres de l’Institut ne sont pas des promoteurs auto-déclarés du revenu universel. Autrement dit, le revenu universel n’est pas un objectif en tant que tel mais un moyen parmi d’autres au service d’une fin. Notre réflexion est partie, non du revenu (le moyen) mais de l’objectif : éviter qu’un citoyen, sombrant dans la pauvreté, se trouve privé d’une existence convenable et exclu de la société. Cette obligation constitutionnelle n’étant aujourd’hui plus respectée, c’est l’ensemble du système de protection sociale qu’il convient de refonder.
Reprendre les choses par le bon bout conduit à réfléchir aux moyens de garantir réellement les deux risques universels que sont la pauvreté et la maladie. C’est cette démarche qu’avaient adoptée les fondateurs de la Sécurité sociale. Ces risques sont universels et doivent être pris en charge par la collectivité. Ce sont des aléas de l’existence qui pèsent sur chaque personne et qui justifient que l’effort de tous soit mobilisé au profit de ceux qui les subissent. Ce doit être le cœur de la protection sociale universelle, assurée par l’Etat et financée par l’impôt. Les autres risques, particuliers ou personnels, relèvent de la mutualisation, pas de la solidarité nationale.
Ainsi recentrée, la Protection sociale universelle marcherait sur deux pieds que nous avons appelés la Protection universelle risque économique (PURE) – innovation ! – et la Protection universelle maladie (PUMA) – que nous connaissons déjà.
Cette PURE prendrait la forme d’une ressource de solidarité bénéficiant à toute personne de 18 ans et plus, résidant régulièrement sur le territoire national, quelle que soit sa situation personnelle ou professionnelle (inconditionnelle donc !) et cumulable avec des revenus.
Cette dernière spécificité est très importante : le versement de cette ressource n’est subordonné à aucune activité, rompant là avec le « fantasme louis-philippard du pauvre fainéant, vivant au crochet des bons bourgeois » dénoncé à juste titre par Gaspard Koenig – et allégeant considérablement le dispositif par la même occasion, tout en le rendant plus efficace en limitant les non-recours. Bien plus ! Elle est cumulable avec des revenus, invitant fortement chaque bénéficiaire à exercer une activité professionnelle sans crainte de perdre cette ressource[5]. On est loin de l’utopie défendue par certains candidats.
Dans notre projet, le montant de la ressource de solidarité serait de 600 euros par mois (900 pour des retraités), intégralement cumulable à hauteur du revenu médian puis décroissant jusqu’à 3400 euros environ.
Cette ressource de solidarité est une forme de revenu universel et constitue une des briques d’une protection sociale complètement renouvelée pour coller aux risques contemporains. Un « projet réaliste et révolutionnaire pour le prochain quinquennat », effectivement !
Erell Thevenon
Déléguée générale de 2IES
[1] Ayons le courage d’opter pour le revenu universel tout court, G. Koenig, Les Echos, 16 mars 2022.
[2] Julien Damon critique également de longue date l’idée de subordonner les aides sociales à une contrepartie. Voir tout récemment : Mettre au travail tous les allocataires du RSA est une idée hors-sol, Le Point, mars 2022.
[3] Pour en savoir plus sur les avantages et les inconvénients du revenu universel, voir Que pensez du revenu universel ? Actualité du concept et esquisse des controverses, A. Prévotat, Les Ozalids d’Humensis, novembre 2021.
[4] Manifeste pour une protection sociale du XXIème siècle, 2IES, Les Ozalids d’Humensis, novembre 2021, résumé ici en 7 points.
[5] Voir ici l’impact de cette proposition sur quelques profils.
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